Kept you waiting, huh ?
Ou la fin de mon aventure sur Metal Gear Solid V : Ground Zeroes.
Waouh... Je réalise que c'est vraiment la première fois que j'ai "vécu" la sortie d'un jeu de la série (Peace Walker ne compte pas vraiment, je n'ai jamais été très excité par cet opus et ne le suis toujours pas), avec toute la hype l'entourant. Mais cette fois-ci, la hype fut accompagnée d'une rumeur grondante : "Kojima a vendu son âme", "Non aux démos à 30 euros", "Vol de pigeons en approche" ; toute cette foire d'empoigne était bien évidemment liée au fait que (c'est la seule chose que tout le monde sait du jeu) la mission principale dure entre 90 et 120 minutes pour une première partie.
On va donc commencer par parler de ce sujet qui fâche tout le monde : la durée de vie. Il est tout à fait exact de dire que la mission principale est courte ; moi-même, pourtant désorienté par le tout nouveau gameplay (j'y reviendrai amplement), j'ai réussi à la finir en 1h40 en fouinant un peu de mon côté, sans rusher. Les objectifs sont plutôt clairs, Kazuhira Miller te dit précisément où aller, on sait quoi faire, on sauve les deux otages, pouf, mission clear. Mais ce serait ne pas réaliser quelque chose d'essentiel : le monde de Ground Zeroes est grand. Pas grand à la Red Dead Redemption, soyons sérieux, mais pour un environnement "fermé" (une base militaire), il y a beaucoup de choses à voir et de chemins à découvrir. C'est en rejouant à cette mission et en découvrant les cinq missions annexes que l'on s'imprègne, petit à petit, de l'architecture de la base, que l'on sait quel chemin est plus efficace que tel autre, où peut-on trouver un camion pour le conduire, comment rentrer discrètement dans le bâtiment principal, comment désactiver le système de surveillance, ou encore quel est l'endroit le plus adéquat pour se faire évacuer par hélicoptère.
Bref, les possibilités offertes par le jeu sont nombreuses, et c'est à tâtons que l'on progresse, attentif au moindre bruit, rampant furtivement pour gagner quelques mètres, pour se rapprocher de son objectif. En termes de gameplay, tout a été intégralement repensé, et pour un vétéran de la saga tel que moi, le choc est rude. Réfléchissons-y un instant : dans les précédents jeux de la saga, le gameplay est assez simple, avec quelques circonvolutions jamais vraiment exploitées (allez, sérieusement, qui se souvient comment se mettre sur la pointe des pieds dans Metal Gear Solid 2 ?), presque typé arcade et adapté à des environnements linéaires (fais pas genre Guns Of The Patriots, tu camoufles tes lignes droites un peu mieux que tes grands frères, c'est tout). Ici, Big Boss dispose d'une grande palette de mouvements : il peut sprinter, courir, s'accroupir, ramper, se plaquer contre un mur, se jeter en avant, rouler sur lui-même, viser dans toutes les directions une fois plaqué au sol... Maîtriser tout cela prend un certain temps (j'ai eu du mal à bien assimiler le système de couverture, par exemple), mais une fois cet apprentissage, ou plutôt ce réapprentissage, effectué, on prend conscience de la liberté d'action offerte à Snake et ce n'est qu'alors qu'on peut tirer la quintessence du gameplay de ce prélude à The Phantom Pain. De même, les interactions avec les ennemis ont été grandement repensées : on peut les immobiliser, puis les étourdir, les égorger, leur soutirer des informations, ou même leur demander d'appeler leurs collègues pour détourner l'attention. Il est même possible, après avoir endormi un garde, de le placer sur le siège avant d'un camion pour que les ennemis ne se doutent de rien quand vous le conduisez ! L'I.A a été grandement améliorée : fini le temps des gardes qui font leur ronde sur trois mètres carrés, et ne bronchent pas quand ils entendent un gugus taper aux murs (d'ailleurs, ça, ça a été malheureusement supprimé). Dès qu'ils entendent un bruit, ils filent vérifier ce qui se passe à la source ; vous avez alors intérêt à filer en douce où à les éliminer... Le "marquage" des ennemis (qui les rend visibles à tout moment sur la carte) et le Reflex Mode (un bullet time déclenché juste avant une alarme, pour vous permettre de neutraliser l'ennemi en vitesse) ont été très critiqués par les puristes, qui estimaient que cela dénaturait the true Metal Gear Solid experience. Pour ma part, j'ai désactivé ces deux options, et cela renforce clairement l'immersion ; une erreur a de lourdes conséquences car Snake ne peut plus se prendre quinze balles avant de passer le SOCOM à gauche, et il n'y a pas de rations... Du coup, on est véritablement incité à jouer les filles de l'air, même si, rassurez-vous, le jeu n'est pas punitif et permet de s'en sortir en abattant quelques gardes avant d'aller se planquer. Le seul vrai point négatif de cette jouabilité, à mes yeux, est la nouvelle physique des balles (notamment du tranquillisant) ; désormais, passée une certaine distance, vos balles commencent à dévier de leur trajectoire sous l'effet de la gravité. Quoique louable dans une optique de réalisme, cela oblige souvent le joueur à vraiment s'approcher de la cible s'il veut la neutraliser, quitte à prendre des risques inconsidérés...
...Risques que l'on ne peut d'ailleurs pas prendre si l'on joue en Hard Mode. Explications : en Normal Mode, les ennemis ont une vision "acceptable" : ils voient suffisamment loin pour qu'on ne puisse pas faire n'importe quoi mais ne grillent pas Snake à vingt mètres, permettant ainsi de continuer tranquillement si on n'a pas vu un garde et qu'il passe derrière nous à ce moment. En Hard Mode... Les gardes voient Snake de loin (sauf s'il est complètement en train de ramper, sachant que ramper est vraiment lent par rapport à la course accroupie), ne restent endormis que peu de temps, réagissent vraiment à tous les bruits et notre borgne préféré ne survit qu'à très peu de coups. Alors oui, côté réalisme, c'est très bien, mais quand on recommence pour la cinquième fois la mission parce qu'on n'a pas assimilé complètement le pattern de l'ennemi... C'est finalement ça, ce que je reproche vraiment à Metal Gear Solid V : Ground Zeroes : si l'on veut se frotter au niveau de difficulté supérieur, et encore plus si l'on décide d'obtenir les rangs S (ce que j'ai fait dans toutes les missions), on tombe vraiment dans l'apprentissage par cœur et la répétition ad nauseam, l'affinement progressif du même plan de route général, jusqu'à trouver le bon dosage de skill et de chance pour enfin finir cette satanée mission. Du coup, toutes les possibilités d'infiltration dont je parlais avant sont presque inexistantes à présent, puisqu'on se retrouve à exécuter les mêmes déplacements encore et encore, la stratégie optimale qu'on aura chopé sur Youtube, épuisé d'avoir encore échoué après trois heures passées sur la même mission. Et même une fois cette stratégie optimale en tête, son exécution est parfois vraiment difficile, voire carrément frustrante. Je pense que les développeurs eux-mêmes étaient conscients de cela, car quand on finit une mission avec un certain rang, on obtient des armes supplémentaires quand on rejoue cette mission, et souvent ces nouvelles armes rendent l'obtention du rang S trivial (exemple typique : le lance-roquettes dans la mission Détruire les postes anti-aériens ...).
Du côté des missions secondaires, j'ai lu pas mal d'articles les qualifiant d'ennuyeuses ou sans intérêt. Si elles n'ont pas le même attrait que la mission principale, certaines sont très réussies (Détruire les postes anti-aériens, Déjà-Vu) tandis que d'autres sont assez fastidieuses (Éliminer la menace des renégats). Encore une fois, je vous conseille, sauf si vous êtes un fan hardcore qui a fini Metal Gear Solid 3 en European Extreme avec les 64 Kerotans et le rang Big Boss, de faire ces missions en Normal Mode pour vraiment apprécier la richesse de l'expérience proposée et ne pas tomber dans une routine peu intéressante. Sachez également qu'il y a beaucoup d'objets cachés à récupérer au gré de vos pérégrinations, ou en remplissant certains objectifs précis : notamment, les patchs XOF et les cassettes audio. Je vous enjoins vraiment à tenter de les récupérer ; d'une part, les cassettes apportent un vrai complément au niveau de l'histoire, et d'autre part, c'est un fantastique jeu de piste qui, contrairement à l'obtention des rangs S, n'a rien de fastidieux car le jeu donne toujours des indices subtils sur la manière de les obtenir, ou vous permet d'interroger un garde pour peut-être apprendre où sont-elles dissimulées...
Côté musiques, rien à dire puisqu'il n'y a quasiment que des thèmes d'ambiance très minimalistes. Certaines cassettes audio permettent de débloquer des musiques sympathiques issues des épisodes précédents. Du côté du doublage, Robin Atkin Downes (Kazuhira Miller) livre une performance à nouveau convaincante, parfois un peu surjouée (THEY PLAYED US LIKE A DAMN FIDDLE !... ahem.) ; James Horan (Skull Face) signe un méchant assez différent des grands antagonistes avec une GROSSE VOIX GRANDILOQUENTE typiques de la série (coucou Liquid, ah coucou Ocelot, ah tiens salut Volgin) avec une performance tout en retenue qui transpire une vraie cruauté. Si son personnage est aussi bien interprété dans The Phantom Pain, ce sera parfait. Et évidemment, je dois parler de Kiefer Sutherland, la nouvelle voix de Snake... Comme tout le monde, j'ai été déçu en apprenant que David Hayter ne reprendrait pas son rôle ; mais concernant le nouveau timbre de Big Boss... Difficile de juger. Big Boss parle très peu pendant le jeu et même si mon impression générale est pour l'instant bonne, il faudra attendre l'opus principal pour se faire une véritable idée des possibilités que peuvent apporter ce changement de casting.
Enfin, en ce qui concerne l'histoire... Il ne se passe pas grand-chose. Le jeu développe un peu sur l'un des premiers trailers mais franchement, il n'y a pas de grandes révélations et le jeu ne fait que détailler en images des éléments que nous connaissions déjà. Par contre, la série se tourne vers un ton résolument plus mature que par le passé ; la base militaire traversée est une sorte de proto-Guantanamo, on voit des prisonniers politiques avec des sacs plastiques sur la tête et couverts de blessures, et certaines cassettes audio contiennent des passages vraiment... difficiles à écouter. Le ton est noir, sans compassion ; pas de tirage d'oreille ou de monsieur 10 000 volts pour détendre l'atmosphère. Ce diptyque Ground Zeroes/The Phantom Pain semble bien décidé à montrer l'horreur de la guerre, la chute de Big Boss, sans compromis. Les rares moments d'humour viennent plus des références aux précédents épisodes que contient le jeu. Pour ma part, je ne suis pas contre une histoire sombre si elle est bien écrite ; mais pour l'instant, j'ai l'impression que Kojima verse dans la surenchère, en gros "on va montrer tout ce qu'on peut pour montrer qu'on rigole pas, que c'est mature et sérieux". A voir si cela sera mieux équilibré dans l'épisode principal et si l'on ne retombe pas dans les travers de Metal Gear Solid 4, à savoir la surenchère au niveau de la mise en scène qui part un peu dans tous les sens.
Si vous êtes arrivé au bout de ce titanesque pavé, félicitations. Voilà ce que je pense du jeu en version condensée : c'est probablement le plus gros malentendu de cette génération de consoles. Tout le monde le considère comme une démo d'une heure vendue plein pot : d'accord, vous pouvez faire la mission principale sans vraiment y penser, en tuant deux ou trois gardes par-ci par-là et, bon an mal an, arriver à la fin. Félicitations, vous n'avez encore rien vu de Ground Zeroes. Maintenant, vous pouvez découvrir les missions annexes, récupérer tous les objets cachés, vous familiariser avec chaque recoin de la base, maîtriser chaque subtilité du gameplay, tenter plein de choses différentes, bref, créer votre propre expérience sur ce jeu injustement boudé. Vous allez redécouvrir la série sous un jour nouveau, difficile à appréhender, mais diablement jouissif une fois bien compris. Mais n'allez pas chercher à tout prix les rangs S. Vous vous retrouverez à exécuter des commandes bêtement, dans un jeu qui semble avoir été pensé pour l'expérimentation et l'apprentissage progressif. Dans The Phantom Pain, je ne referai pas la même erreur : au diable les rangs S, je parcourrai le monde offert, découvrirai des lieux insolites, fouillerai chaque recoin et tenterai les possibilités les plus folles. Et je profiterai d'une histoire qui aura d'ici là, je l'espère, renoncé au sensationnalisme et à l'excès d'images chocs pour proposer des personnages intéressants et un vrai message, comme sait si bien le faire Metal Gear Solid.
J'aime les avions, Shenmue, et Pink Floyd.