Castlevania : Symphony of the Night. (Spoil spoil spoil. Mais bon tout le monde le connaît celui-là)
Symphony c’est le jeu que t’es obligé d’aimer. Méprisé à sa sortie, sacrifié sur l’autel de la 3D moche, puis redécouvert au début des années 2000 grâce à l’émulation et au retrogaming naissant, réhabilité, cité, analysé, canonisé comme il se doit suite à l’émergence du Metroidvania comme genre dominant de la scène indé des dix dernières années. Symphony of the Night en 2019 c’est Ocarina of Time en 2005. J’ai fait le jeu une fois, en terminale, pendant une mauvaise grippe. Mes souvenirs étaient donc très flous et j’ai craqué sur la réédition PS4 en duo avec Rondo of Blood (petite pépite, un classique de la plate-forme 2D, de loin supérieur à Super Castlevania 4 malgré les médisances de certains
).
Il aurait mieux valu s’en tenir aux souvenirs flous.
Evacuons d’emblée les évidences : oui les graphismes sont merveilleux, oui la bande-son est incroyable. Tout le monde le sait, on n’y fait même plus attention. Sur le plan esthétique il y a peu de jeux qui tiennent la dragée haute à Sotn. Et pendant les trois premières heures, si on ne se souvient pas du jeu ou qu’on ne le connaît pas, c’est tout ce qu’on retient. J’étais tellement sonné par la débauche permanente d’effets visuels que je m’en foutais du gameplay. J’explorais le château avec plaisir, impatient de voir les prochains décors 2D et anesthésié par la dopamine qui coulait à chaque micro-pixel découvert sur la carte.
Et très rapidement j’ai fait un tour complet du château et je me suis mis à retraverser les pièces pour découvrir les zones auparavant inaccessibles. C’est là que la débandade commence. Parce que Symphony of the Night est designé avec les pieds. C’est encore plus frappant en sortant de Resident Evil mais l’architecture est absolument anarchique : ça monte, ça descend dans tous les sens, les pièces sont immenses et bourrées de recoins inutiles, peuplées d’ennemis apparemment placés au pif. Des salles sont cachées derrière des murs parfaitement identiques aux autres. On traverse des couloirs kilométriques pour finalement entrer dans une pièce qui ne contient rien, ou pire, qui contient un équipement moins bon que celui qu’on possède. La difficulté n’a aucun sens : au début c’est dur, après ça devient de plus en plus facile jusqu’à ce qu’on roule sur tous les ennemis, à part quelques pièces où les devs ont mis un milliard de mobs qui spamment leurs attaques en même temps.
A la rigueur si le gameplay était à peu près simple, épée, bouclier, un sort de guérison et un sort offensif, pourquoi pas. Il n’y aurait que le level design qui serait encombré. Mais là c’est rempli ras-la-gueule d’options inutiles qui semblent avoir été programmées juste pour combler de la mémoire disque. Progression des stats comme dans un RPG, objets offensifs à utilisation unique, sorts cachés avec des inputs à la Street Fighter, associations d’armes qui fracturent la difficulté (déjà inexistante), transformations en animaux, familiers qui peuvent monter en niveau et apprendre de nouvelles attaques, il y a environ 50 méthodes différentes d’aborder une même situation. Sauf que RIEN n’est expliqué in-game et qu’appuyer sur carré comme un débile marche dans 99% des situations (100% avec Crissaegrim tmtc). C’est le problème de la stratégie dominante : si une stratégie fonctionne à tous les coups, pourquoi je vais m’emmerder à utiliser des stratégies différentes ? Mention spéciale à l’inventaire : on peut pas jeter les objets, on peut pas ordonner par catégorie, donc dès la moitié du jeu c’est une véritable purge pour changer son équipement.
Si le jeu s’en était tenu au premier château et qu’il avait supprimé 80% de toutes ces options de gameplay, ç’aurait été un sous-Metroid, cinq heures de jeu, vite fini vite oublié, avec un design certes chaotique mais une plastique suffisamment dingue pour faire passer la pilule. Mais là il y a le château inversé et ça devient n’importe quoi. C’est pas un easter egg incroyable qui double la durée de vie comme on le répète dans toutes les rétrospectives Youtube. C’est la même map, sauf que tout peut être immédiatement exploré dès le départ. Plus aucun sentiment de progression puisqu’on a déjà récupéré toutes les améliorations de mouvement d’Alucard. On obtient uniquement des épées nulles et des augmentations de PV (super dans un jeu déjà simpliste). On se contente de fouiller la map comme un robot pour trouver les boss qui gardent les objets nécessaires à l’accès au boss final. On se fait gangbang par douze ennemis en même temps parce que les devs ont subitement décidé qu’il fallait remplir la moindre salle avec toute l’arche de la création. Les ennemis enlèvent en moyenne 1 PV par attaque et propulsent Alucard en vol plané sur 10 mètres, un régal. On tombe sur des boss à la difficulté soit non-existante soit cataclysmique.
Et là c’est le moment où j’en avais plus rien à branler. Après avoir cherché sur Google « overpowered weapon symphony of the night » j’ai fini le jeu en faisant du one-shot à tout ce qui bouge. Evidemment même cette arme cheatée est à l’image du jeu : une combinaison aléatoire de deux objets avec un input impossible à trouver tout seul. Poussé par une étrange fièvre complétiste impossible à réfréner, j’ai quand même fini le jeu à 100%. J’avais la gerbe à la fin.
Ca me fait mal d’enterrer Symphony parce qu’il est clair que c’est un jeu qui a été réalisé par des gens talentueux qui avaient une vision. Il y a tellement de petites blagues, d’easter eggs inutiles, de sprites super détaillés pour une animation de combat de 2 secondes que 95 % des joueurs ne verront jamais… Les développeurs avaient vraiment envie de produire quelque chose de grandiose. En fait c’est ça le vrai problème de ce Castlevania : c’est un jeu dont l’ambition avouée est d’être un chef-d’œuvre. Ca ne leur suffisait clairement pas de changer complètement les fondements de gameplay que la série suivait depuis 10 ans, il fallait en plus faire le plus beau jeu du monde, le plus fluide, le plus riche.
Malheureusement quand on travaille avec un tel état d’esprit, il est très facile de confondre surenchère et qualité, et comme ce Castlevania n’a pas de fondement solide sur lequel appuyer son gameplay, c’est le piège dans lequel il se jette tête la première. C’est pas vraiment un RPG parce qu’il n’y a aucune stratégie dans les combats. C’est tout juste un Metroid-like au début, dès qu’on a le double saut et les trois transformations on peut explorer le château comme on veut. C’est quoi au final, Castlevania : Symphony of the Night ? C’est un immense dépotoir, une créature de Frankenstein qui tente désespérément d’amalgamer mille éléments de gameplay incompatibles et sous-développés en un tout cohérent. A l’arrivée il laisse l’impression d’un jeu composite et noyé dans le superflu. Unique exception au naufrage : la musique et les visuels. Et même ça c’est aussi fourre-tout que le reste, avec à peu près quinze environnements différents réunis dans une seule map et une bande-son qui fait le grand écart entre piano baroque et hard-rock dégueu (ça me rappelle quelque chose tiens…). Ca n’a aucune cohérence interne, c’est juste un assemblage d’éléments individuellement excellents, et c’est bien le seul point sur lequel Sotn brille.
J'aime les avions, Shenmue, et Pink Floyd.