Comment définir killer7 ? La tâche est difficile tant le jeu semble pensé pour déjouer toute tentative d’analyse, mais je vais quand même m’y essayer.
Du point de vue du gameplay, killer7 est déjà inclassable puisqu’il propose une sorte d’amalgamation de plusieurs genres différents. Comme dans un survival-horror, il s’agit d’explorer des environnements fermés et interconnectés et d’y résoudre des énigmes ; mais ces dernières sont pour la plupart excessivement simples —la solution est parfois immédiatement offerte sur l’écran de carte, qui nous dit quel objet utiliser à quel endroit — ce qui réduit pas mal l’interactivité et rapproche le titre du point and click. Les combats se déroulent exclusivement en vue FPS : on pourrait imaginer que ce choix insuffle plus de dynamisme à l’action, mais puisqu’il est impossible de bouger pendant qu’on tire et que la plupart des ennemis doivent être abattus en visant leur point faible, ces passages se résolvent surtout en un jeu de positionnement et de précision, ce qui revient à dire que les gunfights sont eux-mêmes des énigmes. Autre originalité, les déplacements ne sont pas libres mais suivent une trajectoire prédéterminée. Il est seulement possible de changer de direction lors d’embranchements prévus à cette fin, ce qui rappelle le fonctionnement d’un rail shooter. Enfin, il y a également une (toute) petite dimension RPG puisqu’on peut améliorer les stats des différents personnages jouables. Ainsi débité en longues phrases, le gameplay peut paraître très compliqué : ce n’est dans le fond pas vraiment le cas, mais puisque le jeu se refuse à expliquer clairement ses mécaniques — le début du premier niveau tente de remplir une fonction de tutoriel, mais il est trop décousu pour y parvenir —les premières heures sont assez absconses. Pour comprendre comment fonctionne killer7 et ne pas râler à répétition, il faut donc accepter de passer 30 minutes à lire les menus didacticiels (ou des threads Reddit). Une fois cette besogne abattue, le jeu est assez facile et a tendance à le devenir de plus en plus, puisque l’amélioration progressive des personnages permet assez vite de rouler sur à peu près n’importe quel ennemi. Le jeu se révèle plutôt répétitif à la longue, ce qui s’explique sans doute par ses nombreux emprunts au point and click qui est un genre aux possibilités de gameplay fondamentalement restreintes.
Mais il faut bien reconnaître que l’attrait principal de killer7 n’est pas son gameplay ; la vraie force du titre, c’est sa direction artistique, qui ne ressemble à rien de ce que j’ai vu dans un JV et qui me donne très envie de découvrir le reste des œuvres de Suda51. Je parle bien de direction artistique et non de scénario : celui-ci est globalement incompréhensible mais peu importe car killer7 est avant tout un jeu de vibe. Pour créer cette vibe, killer7 s’appuie sur deux piliers. Le premier, c’est le choix du cel-shading pour les graphismes, véritable coup de génie qui esthétise la violence de l’action bien mieux que ne l’auraient fait les gros pixels « réalistes » de 2003 et donne au jeu une patte irréelle, presque onirique, qui cadre avec le surréalisme général de la narration et lui garantit une certaine intemporalité. Ensuite, killer7 puise dans un fonds d’influences faciles à reconnaître : BEAUCOUP de Tarantino, quelques films d’arts martiaux, un soupçon d’anime surtout exploité sous l’angle de la parodie. Mais comme toutes les œuvres réussies, killer7 arrive à créer une identité unique à partir de ses influences. On en revient à la notion de dépassement du matériau de base que j’évoque assez souvent dans mes textes : contrairement à Signalis ou à Sea of Stars que je trouve trop scolaires, killer7 ne se contente pas de rendre hommage à ses influences mais joue avec, les épouse puis les rejette, les restructure, les recombine jusqu’à devenir son propre sous-genre de jeu vidéo, dont on peut retracer la généalogie mais dont la singularité est incontestable.
Dans une autre timeline, le jeu aurait pu faire école : s’il n’était pas si azimuté, si obstinément « artistique » (avec toutes les implications, y compris négatives, que contient ce terme), il serait assez facile de l’imaginer en pépite oubliée, le jeu vidéo préféré de ton game designer préféré, vendu à 37 exemplaires mais influençant toute une génération de nerds. Il ne semble pas que ça ait été le cas : malgré sa réédition sur Steam, killer7 reste un jeu vraiment obscur, peu cité par d’autres développeurs et rarement l’objet de rétrospectives Youtube. Pour ceux qui s’y essaieront, préparez-vous à aborder un authentique ovni, à l’esthétique simultanément accrocheuse et déroutante, au gameplay tour à tour original et redondant, au rythme incertain. Un peu comme pour Shenmue, je pense que tout amateur de retrogaming (j’ai failli écrire « connaisseur » et Dieu merci je suis revenu à la raison) devrait essayer killer7 sans s’obliger à l’apprécier.